Le blog de la Revue Fiduciaire

Procédure devant le conseil de prud’hommes : de la saisine au jugement

6 min

Le rôle du juge dans la qualification de la situation juridique

 

Lors de la saisine du conseil prud’hommes, le rôle du juge est déterminant pour qualifier une situation juridique en contrat de travail.

Découvrons cela ensemble à travers cette infographie.

 

Contrôle du juge

 

Pouvoir de qualifier une situation juridique en contrat de travail

Par principe, le juge n’est pas tenu par les « apparences », par les faits que les parties veulent bien lui présenter… Il doit au contraire rechercher qu’elle est la situation juridique réelle que les parties ont peut-être entendu lui cacher.

Le juge civil, à savoir le conseil de prud’hommes, a un rôle actif qui lui est donné par le code de procédure civile. Ainsi, le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée » (c. proc. civ. art. 12).

Selon cette disposition, le juge dispose du droit de qualifier une situation juridique donnée en contrat de travail et ce, quelle que soit la volonté des parties. Ce pouvoir est immense et surpasse le mécanisme de la présomption de non-salariat..

La Cour de cassation résume ce pouvoir par la formule suivante : « l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (cass. ass. plén. 4 mars 1983, n° 81-15290, B. ass. plén. n° 3).

Indices caractérisant un contrat de travail

Analyse d’un ensemble de faits

Il est patent que le juge va devoir analyser l’ensemble des faits qui lui sont soumis comme étant autant d’indices susceptibles de caractériser un lien de subordination.

À ce titre, le fait de verser une rémunération à une personne ne constitue pas un critère suffisant pour la Cour de cassation, qui a pu juger que cela ne permettait pas de caractériser le lien de subordination en dépit du fait que le salaire constitue, en principe, un élément important du contrat de travail (cass. soc. 4 décembre 1986, n° 84-42612 D).

Parmi les indices souvent retenus par le juge pour décider qu’il existe un contrat de travail, on peut citer :

  • l’autorité et le contrôle de l’employeur ;
  • les directives données au « salarié » ;
  • le lieu et les horaires de travail ;
  • la fourniture du matériel.

Ainsi, le raisonnement par faisceau d’indices peut amener le juge à exercer son pouvoir de requalification.

À titre d’exemple, la Cour de cassation a considéré que « le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » (cass. soc. 20 septembre 2006, n° 04-47433 D).

Elle a aussi pu admettre l’existence d’un contrat de travail :

  • entre le locataire d’un véhicule équipé en taxi et son loueur (cass. soc. 19 décembre 2000, n° 98-40572, BC V n° 437) ;
  • entre un club et un moniteur de tennis ou de ski (cass. soc. 25 février 2004, n° 01-46785 D ; cass. soc. 6 octobre 2010, n° 09-43296 D) ;
  • avec un fonctionnaire mis à la disposition d’un organisme de droit privé (cass. soc. 15 juin 2010, n° 09-69453, BC V n° 139 ; cass. soc. 15 juin 2010, n° 08-44238, BC V n° 133) ;
  • avec un salarié mis à la disposition d’une autre entreprise (cass. soc. 1er juillet 1997, n° 94-45102, BC V n° 240).

En revanche n’a pas été qualifiée de contrat de travail la relation entre les joueurs de l’équipe de France de football et la Fédération française de football.

Après une longue bataille judiciaire, la cour d’appel de Versailles, saisie en qualité de cour de renvoi suite à un arrêt de cassation rendu le 22 janvier 2009, a jugé que :

« Lorsque la Fédération française de football fournit à l’équipe de France de football les moyens nécessaires à sa participation aux épreuves sportives et définit les conditions de réalisation des rencontres sportives, l’exercice de telles prérogatives s’inscrit dans le cadre de la mission de la Fédération française de football telle que définie dans ses statuts et dans le cadre des pouvoirs de puissance publique qu’elle exerce sous le contrôle de l’État pour permettre l’organisation de la pratique du sport dans le respect des règlements nationaux et internationaux ;

Considérant ainsi que pendant la préparation et le déroulement des rencontres sportives, la Fédération française de football n’exerce pas sur les joueurs sélectionnés des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction assimilables à ceux dont dispose un employeur sur son personnel salarié qui peut à tout moment donner des ordres et des directives pour la réalisation de prestations définies, en contrôler l’exécution et sanctionner les manquements notamment par la rupture immédiate et définitive de toute relation professionnelle ;

Considérant ainsi que durant leur mise à disposition, les joueurs de l’équipe de France de football ne sont pas soumis à la Fédération française de football par un lien de subordination au sens de l’article L. 2221-1 du code du travail » (CA Versailles 5e chambre, 18 février 2010, RG : 2891/98).

Le cas particulier des plateformes numériques : Les arrêts « Take Eat Easy », « Uber » et le jugement « Deliveroo »

Poursuivant dans son œuvre de requalification la Cour de cassation a rendu deux décisions importantes dont il faut analyser la portée.

Bien que la loi 2016-1088 du 8 août 2016, a prévu une certaine forme de responsabilité sociétale des plateformes numériques (voir les articles L. 7341-1 à L. 7341-6 du code du travail prévoyant des garanties minimales pour protéger les livreurs), rien n’a été prévu en ce qui concerne leur statut juridique alors qu’un mécanisme de présomption de non-salariat aurait pu être, à cette occasion, envisagé.

Dès lors, le juge prud’homal, saisi par un livreur revendiquant le statut de salarié, disposait de tout pouvoir pour se prononcer sur l’existence, ou non, d’un contrat de travail.

  • La première décision est relative à la plateforme « Take Eat Easy » (société liquidée en 2016).La Cour de cassation, dans son arrêt du 28 novembre 2018, a statué, pour la première fois, sur la nature de la relation contractuelle entre une plateforme de livraisons numériques et un livreur (cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-20079 FPPBRI). Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel s’étaient pourtant déclarés incompétents estimant que la preuve d’un contrat de travail n’était pas rapportée.
    Pour la cour d’appel le livreur n’était pas lié à la plateforme par un lien d’exclusivité ou de non-concurrence et restait libre, chaque semaine, de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.
    La Cour de cassation, a censuré l’arrêt d’appel selon les attendus suivants :
    « Attendu cependant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
    Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société Take Eat Easy disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé. »
  • La deuxième, plus récente, a été rendue à propos des livreurs « Uber » (société de droit néerlandais).
    La Cour de cassation rejette le pourvoi estimant que la cour d’appel de Paris a fait une exacte application des éléments de fait qui lui étaient soumis et selon lesquels le contrat de travail était caractérisé (cass. soc. 4 mars 2020, n° 19-13316 FPPBRI). Selon de nombreux commentateurs cette décision va provoquer un véritable raz de marée car près de 200 000 personnes sont concernées par ce type de relation juridique.
    Sur le plan économique, il faudra certainement revoir le modèle de ces entreprises pour prendre en compte le risque social et fiscal.
    Sur le plan social, cela va certainement déclencher de nombreux contrôles URSSAF avec, à la clé, des millions d’euros de cotisations à recouvrer, ainsi que de très nombreuses actions individuelles devant les conseils de prud’hommes (l’action de groupe n’étant pas possible pour obtenir la requalification d’une relation de travailleur indépendant en contrat de travail).
    Sur le plan juridique il faudra, sans doute mettre en place un véritable statut qui tienne compte des conditions particulières dans lesquelles les livreurs sont amenés à exercer leur activité professionnelle.
    Manifestement cette jurisprudence, qui s’affirme, semble inadaptée aux emplois de demain. À ce titre, va certainement se développer la notion d’activité professionnelle dans laquelle on distinguera le travailleur plus ou moins subordonné. Dans cette logique, il n’y aura plus les salariés d’un côté et les travailleurs indépendants de l’autre, soit deux catégories bien distinctes que les juges persistent à vouloir maintenir, mais un travailleur qui prend plus ou moins de risques dans son entreprise et qui doit bénéficier d’une protection sociale adaptée à son activité réelle.
  • La troisième décision, est une première en France, mais pas en Europe. Un livreur de la société « Deliveroo » (plateforme numérique britannique de livraisons de repas) a obtenu du conseil de prud’hommes de Paris, la condamnation de son « employeur » au paiement de la somme de 30 000 € pour travail dissimulé. Les premiers juges ont donc considéré qu’il existait suffisamment d’indices pour caractériser un contrat de travail.
    Cette décision s’inscrit bien sûr dans la ligne jurisprudentielle initiée par l’arrêt « Take Eat Easy » et confirme les autres condamnations de cette plateforme notamment en Belgique, en Espagne et aux Pays Bas. Bien évidemment, de multiples procédures sont en cours à l’encontre de ces plateformes, mais également contre d’autres de même nature ou dont l’organisation est proche.

 

Découvrez l’important rôle du juge dans cette infographie pratique issue de notre ouvrage
Procès aux prud’hommes

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