Cumul contrat de travail et poste de direction
Il peut sembler étrange, pour un dirigeant de société, de souhaiter être salarié de sa société. Mais cet attrait se comprend, car le dirigeant de société bénéficie d’une fonction relativement précaire et à risques (révocation, absence de garantie en cas de perte d’emploi…) et le dirigeant peut souhaiter adjoindre à son mandat social un contrat de travail qui lui donne plus de sécurité. Cette situation d’un double statut est couramment appelée « cumul d’un contrat de travail ». C’est une question délicate à laquelle se trouve confrontée la pratique depuis fort longtemps (G. Lyon-Caen, « Quand cesse-t-on d’être salarié ? », D. 1977, chr. p. 109 ; Daigre, Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés, Rev. soc. 1981, p. 497 ; Vatinet, Des hypothèses de non-cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social, Rev. soc. 1999, p. 273 ; Collin, Le droit social du dirigeant d’entreprise, Dr. soc. 2005/6 et 7).
L’existence de ce cumul entraîne d’importantes conséquences pratiques.
Le législateur, partagé sur l’intérêt du cumul, a adopté des positions diverses, autorisant parfois le cumul, le refusant dans d’autres cas ou s’abstenant de régler le problème.
Cette situation contrastée, conjuguée à un accroissement du nombre des cas où le cumul était contesté, a entraîné l’intervention de plus en plus fréquente des tribunaux. La jurisprudence s’est peu à peu construite à partir des règles du droit des sociétés et de celles du droit du travail.
Même si celle-ci est diverse et manque parfois de clarté, le dirigeant qui chercherait à cumuler ses fonctions avec un contrat de travail devra s’efforcer de prendre certaines précautions qui pourront lui permettre ultérieurement de revendiquer plus aisément un statut de salarié.
Il convient de remarquer que le débat engagé sur le cumul d’un contrat de travail et des fonctions de dirigeant présente un caractère relativement artificiel, puisqu’il s’agit de pallier les lacunes d’un statut que beaucoup jugent inadapté. La jurisprudence donne parfois une pareille impression d’artifice. Des pays étrangers ont cherché à construire un statut du dirigeant de société de manière plus globale qu’en France, mais ces expériences ne semblent pas avoir intéressé les pouvoirs publics ni les milieux professionnels français. Depuis quelque temps, la pratique évoque l’idée d’une « convention de direction », harmonisant les relations entre les fonctions sociales et salariées du dirigeant dans le cadre du droit français actuel (Goulard, Collin et Dom, Une proposition de la pratique : les conventions de direction, Actes pratiques août 2004).
Mais cette solution perd beaucoup de son sens pour les sociétés cotées depuis 2008. En effet, pour ces sociétés, un nouveau dispositif a été institué qui tend à interdire tout cumul d’un contrat de travail et de fonctions sociales.
L’intérêt pratique du cumul
La recherche du statut de salarié s’explique par la précarité des fonctions de dirigeant. Elle était motivée au départ par le souci du dirigeant d’assurer la conservation de son emploi après une révocation encourue en tant que mandataire social. Puis, la question a pris une acuité nouvelle lorsque sont apparues des indemnisations des salariés privés d’emploi.
En sens contraire, la différence des statuts peut conduire la société à abuser de la situation et à qualifier de dirigeant celui qui est en réalité un salarié. Ainsi le juge a-t-il pu requalifier le mandat d’un gérant d’EURL en contrat de travail (cass. civ., 2e ch., 7 mai 2014, n° 13-13653, Rev. soc. 2014, p. 562, note Rakotovahiny).
L’intérêt du cumul dans les rapports avec la société
L’indépendance des statuts
La reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail au profit du dirigeant emporte de nombreux avantages qui tiennent aux garanties attachées au statut juridique de salarié. Le dirigeant peut alors revendiquer l’application de ces garanties, non pas en sa qualité de dirigeant, mais bien au titre de sa qualité de salarié que le droit du travail lui reconnaît.
Ces garanties sont déjà celles qui concernent les indemnités de retraite, les congés payés ou les avantages liés à la nature de la rémunération qualifiée de salaire.
Mais l’avantage du contrat de travail réside surtout dans les garanties accordées en cas de rupture des relations à l’initiative de l’entreprise : nécessité de justifier le licenciement, versement d’une indemnité de licenciement, existence d’un délai de préavis… Parmi ces garanties, l’une d’entre elles est particulièrement intéressante pour les dirigeants : il s’agit de l’indemnité de licenciement, qui trouve sa source dans la loi (c. trav. art. L. 1234-9), mais aussi dans les conventions collectives ou dans le contrat de travail lui-même. Dans ce dernier cas, son montant peut être particulièrement élevé, à tel point que peut se poser la question de la limitation éventuelle de son montant par le juge.
La vie parallèle de deux statuts
Le contrat de travail et le mandat social ont leur vie propre. L’indépendance des statuts conduit à ce que l’administrateur puisse critiquer en tant qu’actionnaire ou administrateur la direction de la société (cass. soc. 16 octobre 1975, Rev. soc. 1976, p. 489, note Randoux). Mais le statut des salariés évolue et la liberté d’expression et le droit de critique, désormais reconnus dans certaines limites aux salariés qui occupent des fonctions de cadre, doivent être reconnus de la même façon au salarié en cas de cumul.
Les modalités de rupture du contrat de travail et du mandat social sont normalement autonomes. À cet égard, la règle de l’article L. 225-61 du code de commerce à propos des membres du directoire a valeur générale : « Au cas où l’intéressé aurait conclu avec la société un contrat de travail, la révocation de ses fonctions de membre du directoire n’a pas pour effet de résilier ce contrat. » Il en résulte que, quel que soit le type de mandat, la révocation n’est pas, en elle-même, une cause de licenciement (cass. soc. 14 juin 1979, Rev. soc. 1980, p. 87, note Le Cannu ; CA Paris 27 octobre 2005, RTD com. 2006, p. 120, obs. Champaud et Danet).
La révocation ne constitue pas non plus une modification du contrat de travail en l’absence de modification apportée aux fonctions techniques salariées (cass. soc. 14 juin 2000, BC V n° 229). Naturellement, les faits justifiant la révocation peuvent constituer aussi une cause réelle et sérieuse de licenciement. Mais l’appréciation du motif du licenciement par le juge prud’homal est autonome et relève des seuls critères du droit du travail (cass. soc. 7 avril 1993, RJS 1993, n° 673).
Si le dirigeant a perdu son mandat social et sa situation de salarié à la fois, il peut avoir la consolation relative de pouvoir présenter une double demande d’indemnisation fondée sur deux causes juridiques distinctes : la révocation du mandat social, d’une part, et le licenciement, d’autre part (cass. com. 12 avril 1983, Bull. Joly 1983, n° 227).
Cependant les deux statuts doivent parfois se combiner : il faut tout particulièrement veiller à cette rencontre des deux statuts lorsque doit être appliquée la procédure des conventions réglementées. L’application de cette procédure se pose tant pour la conclusion du contrat de travail que pour sa modification.
La conclusion par un administrateur d’un contrat de travail est naturellement soumise à cette procédure. Mais cette situation ne peut se rencontrer que dans les « PME », puisqu’elle est interdite dans les « grandes sociétés ».
En revanche le contrat de travail conclu avant la nomination au poste d’administrateur échappe à la procédure des conventions réglementées. Mais celle-ci s’applique à toute modification du contrat de travail pendant le temps où le salarié est également administrateur. Il faut cependant distinguer : une modification majeure du contrat de travail constitue un nouveau contrat de travail par novation. Cette évolution ne pose aucun problème dans une « PME ». Mais elle serait interdite dans les « grandes sociétés ». Une modification du contrat de travail de moindre ampleur est possible. Mais là encore une sous-distinction s’impose : une majoration accordée à tous les salariés d’une même catégorie est une convention courante conclue à des conditions normales. Ce ne serait pas le cas pour une majoration plus individualisée.
L’intérêt du cumul à l’égard de l’assurance chômage
Le code du travail (c. trav. art. L. 5421-1) prévoit diverses mesures tendant à faciliter le reclassement ou la reconversion des travailleurs involontairement privés d’emploi, ainsi qu’un droit à un revenu de remplacement.
D’après les dispositions du code du travail, ces mesures concernent des salariés involontairement privés d’emploi. Le même principe est applicable pour le régime d’assurance des créances des salariés, si le départ du salarié s’inscrit dans le cadre d’une sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire (c. trav. art. L. 3253-6). La tentation était donc grande pour les dirigeants de tenter d’obtenir leur assimilation à des salariés sur le plan des garanties de ressources, comme cela est le cas pour certains d’entre eux en matière de sécurité sociale.
La jurisprudence a rapidement mis fin aux espoirs des dirigeants en jugeant que les dispositions du code du travail concernaient les seules personnes titulaires d’un contrat de travail et que les fonctions d’un dirigeant, mandataire social, ne conféraient pas le droit de bénéficier des garanties prévues pour les salariés. Ainsi est apparue de manière particulièrement nette et tangible la distinction entre l’état de « salarié » au sens du droit du travail et l’assimilation à la qualité de « salarié » en matière fiscale et sociale.
Cette position, conjuguée au développement du nombre des défaillances économiques d’entreprises, a donné un nouvel intérêt au double statut de salarié et de mandataire social. Le dirigeant, privé d’emploi à l’occasion de l’arrêt d’activité de la société, et pouvant faire état de sa qualité de « salarié », est en mesure de bénéficier des diverses mesures de garantie prévues par le code du travail. À l’inverse, simple « mandataire social », il n’est pas considéré comme « salarié » et se trouve dépourvu de toutes indemnités ou rémunérations de substitution. À ce titre il ne peut que souscrire une assurance qui est facultative.
Autres aspects du cumul
Lorsque le dirigeant est en situation de revendiquer le cumul de sa situation de mandataire social et de celle de salarié, il bénéficie de certaines prérogatives propres aux salariés, mais seulement pour la partie de rémunération attribuée au titre du contrat de travail.
PRÉROGATIVES DU SALARIÉ
→ Convention collective.
→ Limitation de la saisie-arrêt sur rémunération.
→ Congés payés.
→ Participation.
→ Intéressement.
→ Plan épargne entreprise.