26 avril 2022 à 12h00

Prévoyance des cadres : la prise en compte des frais de santé dans l’obligation patronale de 1,50 %

Prévoyance des cadres : la prise en compte des frais de santé dans l’obligation patronale de 1,50 %
Olivia Houy-Boussard
Olivia Houy-Boussard
Avocate
Cabinet Barthélémy Avocats
Mehdi Caussanel-Haji
Mehdi Caussanel-Haji
Avocat associé
Cabinet Barthélémy Avocats

Dans un arrêt rendu le 30 mars 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation (cass. soc. 30 mars 2022, n° 20-15022 FSB) énonce pour la première fois ce qu’il faut inclure dans l’assiette de la cotisation de prévoyance des Cadres (les fameux « 1,50 % tranche 1 du salaire »).

Si une telle décision est heureuse en ce qu’elle valide de nombreuses pratiques, elle laisse toutefois en suspens quelques interrogations.

Contexte de l’affaire : le 1,50 % prévoyance des cadres

De la convention AGIRC à l’ANI de 2017

À l’origine de l’affaire jugée le 30 mars 2022 par la Cour de cassation, une organisation syndicale reprochait à un groupe de services numériques et d’édition de logiciels de ne pas respecter les termes de l’article 7 de la convention collective nationale des cadres de 1947 (convention AGIRC).

Pour rappel, l’article 7 de la convention collective de retraite et de prévoyance des cadres de 1947 intitulé « Avantages en matière de prévoyance » prévoyait ceci :

« Les employeurs s’engagent à verser, pour tout bénéficiaire visé aux articles 4 et 4 bis de la Convention ou de l’annexe IV à cette Convention, une cotisation à leur charge exclusive, égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de Sécurité sociale.

Cette contribution doit être versée à une institution de prévoyance ou à un organisme d’assurance pour les bénéficiaires visés aux 4 et 4 bis, à l’INPR (institution nationale de prévoyance des représentants) pour les ressortissants de l’annexe IV à l’exclusion des VRP affiliés pour ordre à Malakoff Médéric Retraite AGIRC en application du paragraphe 2 de l’article 1er de l’annexe IV.

Elle est affectée par priorité à la couverture d’avantage en cas de décès. »

Depuis, les fédérations AGIRC et ARRCO ont fusionné en une unique fédération AGIRC-ARRCO le 1er janvier 2019. Cet ancien article 7 de la convention AGIRC a été repris par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres. Les parties signataires n’ont toutefois pas pris position quant à l’acceptation du terme « prévoyance » et ne se sont pas expressément prononcées sur la cotisation afférente aux frais de santé dans le calcul de la cotisation de 1,50 %.

Ce régime permet aux bénéficiaires de constituer des avantages complémentaires à ceux de la sécurité sociale notamment en cas de décès.

Cette disposition impose aux employeurs de s’acquitter, au bénéfice de leur personnel cadre et assimilé (au sens des articles 2-1 et 2-2 du nouvel ANI), d’une cotisation minimale égale à 1,50 % du salaire limité au plafond de la sécurité sociale (auparavant tranche A, T1 aujourd’hui).

Un employeur qui cotisait à 1 % pour les risques lourds et 1,8 % pour les frais de santé

Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 2022, l’organisation syndicale reprochait à l’employeur d’avoir pris en considération dans la cotisation obligatoire de 1,50 % une partie de la cotisation santé versée par ailleurs au salarié.

Concrètement, l’employeur cotisait à hauteur de 1 % pour les risques « lourds » et 1,8 % pour les frais de santé, soit un total de 2,8 % pour la prévoyance.

L’absence de contenu défini du 1,50 % prévoyance des cadres

La Cour de cassation a commencé par constater que ni la convention AGIRC de 1947, ni l’ANI de 2017 qui la substituait, n’excluaient les frais de santé des avantages de prévoyance financés par l’employeur et que seule était prévue une affectation prioritaire de la cotisation à la couverture décès.

Elle a en conséquence approuvé la cour d’appel d’avoir considéré que pour vérifier si l’employeur respectait son obligation de cotiser en matière de prévoyance à hauteur de 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de sécurité sociale, il doit être tenu compte de la cotisation patronale versée pour le financement de la garantie frais de santé.

Une lecture conforme des textes, mais qui pose quelques difficultés

Une cotisation prioritairement affectée à la couverture du risque décès

Si cette décision n’est en réalité qu’une lecture conforme des textes, sécurisante pour la pratique, elle n’est pas toutefois sans poser quelques difficultés.

Pour rappel, le texte « Elle est affectée par priorité à la couverture d’avantage en cas de décès » doit s’entendre selon l’AGIRC, selon une lettre du 26 août 1994, comme l’affectation de plus de la moitié de la cotisation obligatoire de 1,50 % à la couverture du risque décès, soit une cotisation d’au moins 0,76 % (de la tranche A).

Le surplus, s’il en existe un, peut être consacré à une autre couverture de type frais de santé, incapacité ou invalidité.

Au-delà de la cotisation 0,76 % affectée au décès, quelles cotisations peuvent être incluses pour atteindre le 1,50 % ?

Cette appréciation restait cependant débattue car ni l’ancienne convention AGIRC du 14 mars 1947, ni le nouvel ANI du 17 novembre 2017, ne précisent l’assiette d’appréciation du taux de 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale.

Aux termes du code de la sécurité sociale (c. séc. soc. art. L. 911-1 et L. 911-2), la prévoyance en entreprise regroupe l’ensemble des garanties collectives dont bénéficient les salariés, les anciens salariés et leurs ayants droit en complément des prestations servies par la sécurité sociale en couverture des risques liés à l’atteinte à l’intégrité physique (maladie, accident), la maternité, l’incapacité de travail, l’invalidité, le décès, les risques d'inaptitude et le risque chômage…

Une lecture littérale des textes conduisait à considérer que les cotisations au régime de frais de santé pouvaient, en l’absence de distinction prévue par la convention collective nationale du 14 mars 1947, être incluses dans la détermination du seuil de 1,5 % de la tranche A.

De très rares décisions avant celle rendue par la Cour de cassation

Avant l’arrêt rendu par la Cour de cassation, il existait peu de jurisprudence rendue sur ce point.

Un premier arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 avril 2010, n° 08/10505) avait même retenu que les cotisations versées à un régime de frais de santé devaient, au contraire, être exclues pour l’appréciation du seuil de 1,5 % de la tranche A prévu par la convention collective AGIRC du 14 mars 1947.

Cette solution s’expliquait certainement par la spécificité des dispositions de la convention collective nationale de l’immobilier en vigueur à l’époque (et dont l’application était invoquée), qui distinguait la participation de l’employeur au financement d’un régime de frais de santé de l’obligation de financer un régime d’assurance décès par référence à la convention collective du 14 mars 1947.

L’arrêt rappelait en effet expressément ceci :

« Le régime complémentaire éventuel permettant d’assurer au personnel une couverture supplémentaire en matière de frais médicaux ou pharmaceutiques prévu par l’article 26.3 de la convention collective nationale de l’immobilier est totalement distinct de l’obligation faite par l’article 26.1 de cette même convention à l’employeur d’adhérer à « une institution ou à un organisme d’assurance gérant le régime minimal d’assurance décès institué au profit des cadres par la convention collective nationale du 14 mars 1947 ».

Appliquant strictement la convention collective nationale de l’immobilier, la cour d’appel de Paris avait finalement reconnu qu’une obligation autonome et distincte de celle de la convention collective AGIRC de 1947 aurait été imposée par les dispositions prévues par la convention collective nationale de l’immobilier.

Une décade plus tard, la même cour d’appel avait jugé le 6 février 2020 (n° 18/20112) que « pour vérifier si l’employeur respecte son obligation de cotiser en matière de prévoyance à hauteur de 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale, il doit être tenu compte de la cotisation patronale versée pour le financement de la garantie frais de santé ».

La participation patronale au financement de la complémentaire santé des salariés pouvait ainsi être prise en compte dans l’appréciation du respect par l’employeur de son obligation de cotisation à hauteur de 1,50 %, en matière de prévoyance des cadres et assimilés.

Cette jurisprudence consacrait une acception large de la notion d’« avantages en matière de prévoyance », et c’est donc dans le même sens que la Cour de cassation s’est prononcée ce 30 mars 2022.

Cette confirmation n’est pas sans poser de difficulté dans la pratique et conduit, bien évidemment, à des vérifications indispensables.

L’existence d’une cotisation exclusivement patronale

Dans le cadre d’un régime global de prévoyance, incapacité, invalidité, décès et frais de santé, il est impératif de vérifier le respect de cette obligation de cotisation et de comparer le régime d’entreprise avec le régime de l’ANI de 2017 sur l’avantage décès.

L’entreprise peut spécifier dans le contrat d’assurance la ventilation des taux et leur assiette pour faciliter cette appréciation. À défaut, il convient de solliciter l’organisme à cette fin.

Cette cotisation doit être versée à une institution de prévoyance ou à un organisme d’assurance, ce qui impose à l’entreprise d’externaliser la garantie, et lui interdit de s’auto-assurer. En revanche, elle a le choix de l’organisme, sauf cas particuliers.

Certaines erreurs peuvent conduire à faire participer, involontairement, le salarié à cette cotisation. L’entreprise veillera donc à s’auto-auditer.

À défaut, en raison de ce que les salariés cotisent indûment au régime de prévoyance institué sur les « 1,50 % de la tranche 1 », ceux-ci seraient fondés à exiger des rappels de salaires au moins égaux à la somme qui leur a été ainsi prélevée durant les 3 dernières années.

Il serait également permis d’envisager qu’un salarié cadre puisse tenter de prendre prétexte de cette situation pour prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou solliciter la résiliation judiciaire de son contrat sur ce fondement.

Si une telle demande était accueillie par les juges du fond, la prise d’acte ou la résiliation judiciaire du contrat produirait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et emporterait les mêmes conséquences indemnitaires.

La nécessité de pouvoir justifier d’une cotisation globale de « 1,50 % tranche 1 »

En restant sur la seule prise en compte de la prévoyance frais de santé, il revient à chaque employeur de justifier pour chaque cadre concerné qu’il se voit bien bénéficiaire d’une cotisation « globale » de 1,50 % sur la tranche 1 incluant prévoyance « risques lourds » (invalidité – incapacité – décès) et prévoyance « frais de santé ».

Une telle justification pourrait ne pas être à l’avantage de l’entreprise puisque certains cadres ont pu, par exemple, solliciter la dispense d’affiliation au régime santé et donc ne pas bénéficier de la moindre cotisation en frais de santé sur la tranche 1.

Cela nécessite donc une étude plus approfondie sur ce seul point et pour l’ensemble des bénéficiaires « 1,50 % tranche 1 ».

La cotisation, une obligation de moyens pas si anodine

La sanction du défaut de cotisation ou d’une cotisation insuffisante

L’ancien article 7 § 3 de la convention collective AGIRC du 14 mars 1947 de retraite et de prévoyance des cadres prévoit expressément ceci :

« Les employeurs qui, lors du décès d’un participant, ne justifient pas avoir souscrit un contrat comportant le versement de la cotisation visée au premier paragraphe, sont tenus de verser aux ayants droit du cadre ou du VRP décédé, une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès. »

Cette sanction trouvera à s’appliquer non seulement en l’absence de cotisations mais également dans l’hypothèse de cotisations insuffisantes n’atteignant pas le seuil de 1,50 %.

Elle s’appliquera ensuite quand bien même la structure justifie d’un régime garantissant un capital décès égal ou supérieur à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale.

La Cour de cassation considère que la sanction visée à l’article 7 de la convention collective de 1947 « [n’a] pas pour objet d’assurer l’exécution de son obligation principale de souscrire un contrat d’assurance décès au profit de ses cadres » (cass. soc. 14 juin 2000, n° 98-41186 D).

Cette sanction a ainsi exclusivement vocation à sanctionner le non-respect des dispositions du § 1 de l’article 7 de la convention collective AGIRC du 14 mars 1947.

Le raisonnement peut être transposé dans le cadre du nouvel ANI du 17 novembre 2017 sur la prévoyance des cadres, qui a repris la même sanction.

Des conséquences majeures

Le non-respect de ce taux de cotisation de 1,50 % tranche 1 entraîne des conséquences majeures :

  • l’employeur ne pourra pas y échapper au seul motif qu’il garantit effectivement un capital décès égal à 3 fois le plafond de la sécurité sociale ;
  • l’employeur ayant omis de cotiser à hauteur de 1,50 % de la tranche 1, mais qui aura versé à l’ayant droit d’un salarié décédé une somme supérieure ou égale à trois fois le plafond de sécurité sociale en vigueur au moment du décès, pourra malgré tout se voir condamner au paiement de la sanction édictée à l’article 7 de la convention collective du 14 mars 1947.

L’objet de la sanction, rappelé à plusieurs reprises par la Cour de cassation, fait en effet directement échec à l’argument selon lequel l’ayant droit du salarié n’aurait subi aucun préjudice du fait du non-respect de l’obligation de cotisation et qu’il ne saurait, en conséquence, en être indemnisé.

Tout ayant droit d’un salarié décédé sera fondé à exiger le versement d’une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale, et ce quand bien même il aurait d’ores et déjà bénéficié d’une indemnisation (même supérieure) au titre d’une garantie décès.

L’AGIRC partage la même interprétation puisqu’elle est venue préciser que la sanction devait s’appliquer même si l’entreprise avait souscrit une garantie d’un capital décès supérieur à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (lettre AGIRC du 10 novembre 1993). La sanction est encourue de plein droit compte tenu de l’inexécution de l’obligation d’assurance précitée, même si le cadre a refusé de signer le bulletin individuel de souscription ou laisse sans réponse les questions relatives à son état de santé et à sa date d’embauche (cass. civ., 1re ch., 30 mars 2004, n° 01-03971, BC I n° 101).

La Cour de cassation a toutefois réservé le cas d’une erreur d’imputation de l’employeur (qui met par exemple à la charge du salarié une partie de la cotisation pourtant exclusivement patronale) : elle s’est ainsi refusée à condamner au versement de l’indemnité égale aux trois plafonds annuels de sécurité sociale un employeur qui justifiait du versement de la cotisation à l’organisme de prévoyance et du fait que l’ayant droit du cadre défunt avait bien bénéficié du capital décès dû (cass. soc. 29 mai 2013, n° 12-11781 D).

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