Répartition des dividendes en présence de droits sociaux démembrés
A qui appartient le droit de vote sur l’affectation du bénéfice ?
Démembrement portant sur le capital social
La constitution d’un usufruit sur des droits sociaux entraîne le démembrement de la propriété des droits sociaux entre deux personnes : le nu-propriétaire et l’usufruitier qui se partagent les droits et obligations attachés aux parts sociales.
Lorsque le démembrement porte sur des droits sociaux, il convient de déterminer de façon précise qui, de l’usufruitier ou du nu-propriétaire, exercera le droit de vote. La solution varie selon le type de sociétés.
De la même manière, il conviendra de statuer sur le droit aux dividendes.
Principe général applicable aux SARL, SAS et SA : l’usufruitier vote l’affectation des bénéfices
Dans les sociétés de personnes (SNC, société en commandite simple, société civile) mais également dans les SARL ou les SAS lorsque les statuts n’ont rien prévu sur ce point, le code civil accorde au nu-propriétaire l’ensemble des droits de vote, sauf celui relatif à la répartition des bénéfices qui appartient à l’usufruitier (c. civ. art. 1844). Ainsi, l’usufruitier vote l’affectation des bénéfices et le nu-propriétaire a, sauf convention contraire, le droit de vote pour les autres résolutions.
Toutefois, ces dispositions ne sont que supplétives : les statuts peuvent y déroger et retenir des règles différentes pour étendre ou restreindre les droits du nu-propriétaire ou de l’usufruitier (c. civ. art. 1844, al. 4).
Dans les sociétés par actions (SA), le droit de vote attaché à l’action appartient (c. com. art. L. 225-110) :
- à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires (à cet égard, on rappelle que l’approbation des comptes est du domaine exclusif de l’assemblée générale ordinaire) ;
- et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires.
Toutefois, les statuts peuvent également prévoir une répartition autre (c. com. art. L. 225-110, al. 3).
Aménagements statutaires possibles
L’article 1844 du code civil précise que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier (c. civ. art. 1844, al. 4).
La Cour de cassation a admis que les statuts pouvaient attribuer le droit de vote à l’usufruitier pour toutes les décisions, sous réserve de respecter le droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives (cass. com. 2 décembre 2008, n° 08-13185). En revanche, elle a annulé la clause statutaire qui privait l’usufruitier du droit de voter les décisions concernant les bénéfices (cass. com. 31 mars 2004, n° 03-16694). Cette clause porte, en effet, atteinte aux prérogatives essentielles attachées à l’usufruit : celles d’user de la chose grevée et d’en percevoir les fruits.
Concernant le nu-propriétaire, deux principes doivent être respectés :
Intérêts opposés du nu-propriétaire et de l’usufruitier
Concernant l’affectation du bénéfice, les intérêts du nu-propriétaire et de l’usufruitier ne sont pas les mêmes. L’usufruitier va souhaiter une distribution massive du bénéfice, alors que le nu-propriétaire préférera une affectation au poste de réserves valorisant la valeur de ses droits. Les statuts peuvent également prévoir une part de bénéfices devant être mise en réserves.
Qui a droit aux dividendes ?
Différentes possibilités d’affectation des résultats
Ainsi qu’il a été indiqué, l’usufruitier vote sur l’affectation du bénéfice.
Les résultats bénéficiaires de l’exercice sont soit conservés dans la société par affectation aux réserves ou incorporation au capital, soit répartis entre les associés au titre de leur droit aux dividendes. Si l’assemblée générale décide d’un report à nouveau, elle reporte la décision d’affectation à l’année suivante.
Il a été jugé qu’en participant à l’assemblée générale qui décide d’affecter les bénéfices à un compte de réserves, l’usufruitier ne consent aucune donation au nu-propriétaire (cass. com. 10 février 2009, nos 07-21806 et 07-21807 ; cass. com. 31 mars 2009, n° 08-14053). En effet, les bénéfices réalisés par la société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des comptes de l’exercice par l’assemblée générale, la constatation par celle-ci de l’existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé. Par conséquent, avant cette attribution, l’usufruitier des parts sociales n’a pas de droit sur les bénéfices.
Par ailleurs, la mise en réserve systématique des bénéfices, privant les actionnaires de leurs dividendes, n’est pas abusive puisqu’elle ne favorise aucun associé (cass. com. 10 juin 2020, n° 18-15614).
Enfin, même si les bénéfices ont été affectés à un compte de réserves, l’assemblée générale ordinaire des associés a toujours la possibilité de décider ultérieurement le versement d’un dividende prélevé sur les réserves dont elle a la disposition (c. com. art. L. 232-11, al. 2).
S’il ne fait pas de doute que l’usufruitier a droit aux dividendes prélevés sur les résultats, la jurisprudence est divisée concernant le bénéficiaire des réserves distribuées.