L’originalité du logiciel
La protection d’un logiciel dépend de la capacité à faire reconnaître son originalité.
Découvrons à travers cette infographie pourquoi ?
La définition d’un logiciel
L’absence de définition légale du logiciel
Aucune définition du logiciel n’est donnée par la loi, que ce soit dans le code de la propriété intellectuelle, ou dans la directive européenne relative au programme d’ordinateur. La première directive relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur remonte à 1991 (dir. 91/250/CEE du 14 mai 1991), et elle a été légèrement modifiée par une directive de 2009 (dir. 2009/24/CE du 23 avril 2009).
Bien évidemment, dans la majorité des cas, la question de la définition même du logiciel n’a pas d’importance pratique. On peut bien reconnaître que le logiciel qui vous sert de traitement de texte, celui qui gère les finances d’une entreprise, ou celui qui permet de calculer le meilleur trajet par la route et qui s’affiche sur votre smartphone est bien un logiciel. Mais on se trouve parfois confronté à des hypothèses qui nécessiteraient de disposer d’une définition bien précise. Par exemple, on peut très bien développer un système relativement complexe et très riche fonctionnellement en utilisant un tableur du type Excel. S’agit-il d’un logiciel ? Comme il n’y a pas de définition dans la loi, on ne peut pas répondre avec certitude.
Des éléments de réponse en droit fiscal et en droit pénal
C’est dans le droit fiscal et le droit pénal que l’on peut trouver des définitions plus précises. Le droit pénal est basé sur le principe de l’interprétation stricte des textes, et quand on a créé des textes pour sanctionner les « pirates informatiques » dans les années 1980, il a bien fallu rédiger un texte précis. Ce que nous disent les dispositions du code pénal à ce sujet est que ce qui est sanctionné est l’intrusion « dans un système de traitement automatisé de données » (c. pén. art. 323-1 et s.). Mais ce texte s’applique plutôt à un « système d’informations » au sens large plutôt qu’à un logiciel. Du côté du droit fiscal, un logiciel est défini comme « un ensemble d’instructions, de programmes, procédés et règles ainsi que la documentation qui leur est éventuellement associée, relatifs au fonctionnement d’un matériel de traitement de l’information et qu’il est caractérisé par des éléments incorporels incluant les programmes nécessaires au traitement de l’information et des éléments corporels servant de supports aux éléments incorporels (disques ou bandes magnétiques, documentation écrite) » (BOFiP-BIC-CHG-20-30-30-01/03/2017).
En pratique, ce sujet n’est que très rarement un problème : on sait bien reconnaître ce qu’est un logiciel.
Que protège le droit d’auteur ?
Code-source et code-objet
Le droit d’auteur protège tout d’abord le code-source qui est l’expression du logiciel sous sa forme compréhensible par un être humain. On utilise un langage très normé pour écrire le code-source (voir §§ 2-1 et s.).
Le droit d’auteur protège ensuite le code-objet qui est l’expression du logiciel sous sa forme compréhensible par une machine.
Sur cette différence entre le code source et le code objet, il faut insister sur un point essentiel : le logiciel (en tant qu’œuvre protégée par le droit d’auteur) peut prendre deux formes différentes. Les deux formes sont protégées par le droit d’auteur, un peu comme une chanson. La chanson est protégée par le droit d’auteur. Elle peut prendre la forme d’une partition imprimée, ou d’une partition sous forme de fichier, et c’est la même œuvre qui existe sous forme analogique (sur un disque vinyle) ou sous forme numérique (en format MP3).
Cela n’a donc pas beaucoup de sens de parler de « cession de code-source ». Si on cède un logiciel (l’œuvre), il faut transmettre ce logiciel sous forme de code-source pour pouvoir en assurer la maintenance dans le temps, le modifier, l’enrichir. Mais ce transfert de code-source est plutôt une conséquence pratique de l’opération juridique de la vente. On peut prendre l’exemple de la vente d’une voiture. Dans une vente de voiture, l’acheteur doit payer le prix, et le vendeur doit transférer la propriété de la chose vendue. Le transfert de propriété de la voiture prend la forme d’une double opération, qu’on appelle en droit la « tradition » de la chose vendue. La « tradition » d’une voiture implique que le vendeur remette à l’acheteur les clefs de la voiture et sa carte grise. Par analogie, la « tradition » du logiciel, sa remise sur le plan juridique, implique que le vendeur transmette le logiciel en code-objet, en code-source, et la documentation associée.
Le matériel de conception préparatoire
Le droit d’auteur protège aussi le matériel de conception préparatoire (c. propr. intell. art. L. 112-2). Il existe peu de décisions permettant de préciser ce qu’est le matériel de conception préparatoire. À première vue, on peut exclure les cahiers des charges et autres expressions de besoins par des utilisateurs (trib. admin. Caen 12 mai 2009, n° 0802291). En revanche, un manuel d’utilisation peut être protégé par le droit d’auteur (CJUE 2 mai 2012, aff. C-406/10) dans les conditions du droit commun, c’est-à-dire comme une œuvre littéraire, à condition d’être original.
L’interface « homme-machine »
Le droit d’auteur peut aussi protéger l’interface homme-machine, l’enchaînement des écrans. Il s’agit alors du droit d’auteur « classique » et pas de celui du logiciel. C’est le sens d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 22 décembre 2010, aff. C-393/09). La solution n’était pas nouvelle : les juridictions françaises l’avaient d’ores et déjà admise (cass. crim. 21 juin 2000, n° 99-85154 ; cass. civ., 1re ch., 27 avril 2004, n° 99-18464).
Le droit d’auteur, en revanche, ne protège pas les algorithmes ni les idées à la base du logiciel. La directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 le précise dans son considérant n° 11 : « seule l’expression d’un programme d’ordinateur est protégée et […] les idées et principes qui sont à la base de la logique et des algorithmes ne sont pas protégés en vertu de la présente directive ». Le principe a été rappelé par un arrêt très important de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 mai 2012 : « Ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés » (CJUE 2 mai 2012, aff. C-406/10). Ce principe a été rappelé par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 5 mai 2017 (CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 5 mai 2017, n° 16/08788).
Le droit d’étudier le logiciel
On peut étudier un logiciel, comprendre comment il fonctionne, et en développer un autre qui aura les mêmes fonctionnalités. Le droit d’étudier le logiciel et de comprendre son fonctionnement est garanti au titulaire d’une licence sur un logiciel par l’article L. 122-6-1, III du code de la propriété intellectuelle. Cette liberté d’étudier le logiciel et son fonctionnement connaît une limite importante, celle du parasitisme.
L’originalité du logiciel
La caractéristique essentielle des œuvres protégées par le droit d’auteur est qu’elles sont protégées par l’effet de leur création. Il n’est pas nécessaire de les enregistrer auprès d’un organisme (à l’INPI, par exemple). Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas les déposer (par exemple par un dépôt électronique du type enveloppe e-soleau), mais ce n’est pas une condition indispensable.
Le dépôt est tout de même recommandé pour pouvoir prouver la date de création du logiciel, et son contenu exact. On peut utiliser les services de l’agence pour la protection des programmes (l’APP), d’une société comme Continew, ou d’un huissier de justice ou d’un notaire.
Pour être protégé, le logiciel doit être original
Une œuvre doit être originale pour être protégée par le droit d’auteur. Les discussions philosophiques autour de la notion d’originalité sont extrêmement nombreuses. Il y a une grande d’incertitude sur cette notion.
Mais il y a quelques certitudes sur ce que l’originalité n’est pas :
- l’originalité (notion utilisée en droit d’auteur) n’a rien à voir avec la nouveauté (notion utilisée en droit du brevet). Une création littéraire peut être très proche d’une autre, mais être quand même originale ;
- l’originalité n’est pas non plus l’esthétique (on parle du « mérite » de l’œuvre). Un tableau de Picasso ou de Dali n’est pas du goût de tout le monde. Certains trouvent le tableau « Guernica » très laid. Cela n’a rien à voir avec son originalité. Ce principe est rappelé dans la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 au considérant 8 : « Les critères appliqués pour déterminer si un programme d’ordinateur constitue ou non une œuvre originale ne devraient comprendre aucune évaluation de la qualité ou de la valeur esthétique du programme ».
Les deux conceptions du critère d’originalité
Il existe en fait deux conceptions de l’originalité : l’une personnelle (on parle de vision subjective) et l’autre qui est objective. Dans la vision subjective, on recherche l’originalité dans la personnalité de l’auteur. On va ainsi vérifier que l’auteur d’une sculpture a fait preuve d’une créativité particulière et que l’œuvre reflète sa personnalité. On parle de « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». Dans une vision plus objective, on se rapproche de la nouveauté et de l’inventivité qui est le critère du brevet ou au moins de la notion d’effort. C’est ce que les anglo-saxons appellent « the sweat of the brow » (la goutte de sueur dans le sourcil).
Dans les arrêts de 1986, la jurisprudence française était très clairement orientée vers une vision objective : la Cour de cassation parle « d’effort ». Il restait une trace du critère subjectif : cet effort doit être « personnel ».
C’est cette combinaison des deux critères que l’on retrouve dans la directive européenne qui parle d’une « création intellectuelle propre à son auteur » (article 1.3). Cette valse-hésitation de la jurisprudence se retrouve dans les premières décisions des tribunaux rendus dans les années 1980 et 1990. Mais à partir des années 2000, la tendance de la jurisprudence est catastrophique : dès qu’une entreprise ou un auteur personne physique fait un procès en contrefaçon de logiciels, celui qui est accusé de contrefaçon soulève tout de suite un premier argument. Cet argument en défense est que vous ne pouvez pas me faire un procès en contrefaçon, car votre logiciel n’est pas original.
Le tribunal s’adresse alors à l’auteur du logiciel en exigeant de lui qu’il démontre l’originalité du logiciel. Quand on examine la jurisprudence depuis 20 ans, on est obligé de constater que dans la très grande majorité des cas, les tribunaux refusent l’originalité du logiciel.
La décision de justice fait alors quelques pages, et le procès s’arrête très vite, car la juridiction reconnaît bien qu’il existe un objet technique (le logiciel) mais que cet objet technique n’est pas protégé par le droit d’auteur car il manque d’originalité.