30 mai 2023 à 12h00

Transitions collectives : anticiper l’impact des mutations économiques par la reconversion des salariés

Transitions collectives : anticiper l’impact des mutations économiques par la reconversion des salariés
Francois Bretonniere
François Bretonnière
Avocat spécialiste en droit social
HDV Avocats

Comment anticiper les mutations structurelles, éviter un plan de licenciement ou de rupture conventionnelle collective en répondant aux besoins de recrutement d'autres entreprises sur des métiers en tension ?

Le dispositif Transitions collectives dit « Transco » peut être la solution que certains qualifieront « d'incroyable » car réunissant de multiples avantages pour les salariés, les employeurs et les pouvoirs publics soucieux à juste titre de préserver l'équilibre de leur bassin d'emploi.

Dans un contexte de profondes mutations technologiques et/ou écologiques, Transco est au cœur de l’actualité

Selon une enquête récente BMO de Pôle emploi, 61 % des recrutements 2023 ont été jugés difficiles par les entreprises et 58 % en 2022, un chiffre alors en hausse de 29 % par rapport à 2021 (Enquête « Besoins en Main-d'Œuvre 2023 », Pôle emploi, avril 2023).

La hausse des difficultés anticipées de recrutement concerne la plupart des métiers, notamment ceux de l’hôtellerie-restauration, les agents de sécurité et de surveillance, les caissiers et employés de libre-service et certains métiers d’ouvriers industriels.

En suivant les stratégies de France 2030, 60 000 emplois sont actuellement non pourvus dans l'industrie et 160 000 nouveaux emplois sont nécessaires pour une réindustrialisation verte à horizon 2030.

Dans le même temps, des métiers ne sont plus adaptés à l’évolution des technologies, aux besoins ou habitudes des consommateurs ou sont impactés par des contraintes de type « énergétique ».

Selon le Think Tank La Fabrique de l’Industrie, dans un avenir proche, ce sont 150 000 emplois qui sont condamnés dans l’industrie (« Emplois industriels menacés par la crise énergétique, le MACF et l’IRA : une estimation », avril 2023).

Exemple

Les emplois de manutentionnaires (à cause de l’automatisation), les livreurs (remplacés par des drones), les caissiers (caisses automatiques à code-barres), les interprètes (logiciels de traduction…) sont amenés à disparaître dans les prochaines années.

Dans un même bassin d'emploi, des entreprises ayant de forts besoins de recrutement côtoient des entreprises contraintes d'envisager des compressions d'effectifs.

Dans ce contexte de fortes mutations économiques, sécuriser les transitions professionnelles et assurer le meilleur appariement possible entre l'offre et la demande de travail devient une nécessité… impérieuse.

Dès lors, il n’est pas surprenant de lire dans le corpus de 29 propositions présentées en avril 2023 pour le projet de loi Industrie Verte, que le dispositif Transco figure en bonne place au titre des mesures destinées à répondre aux besoins de reconversion industrielle, en particulier dans la filière automobile avec la transition entre les moteurs thermiques vers les moteurs 100 % électriques, à batterie ou à hydrogène.

Transco : un dispositif méconnu mais éminemment adapté aux contraintes économiques et du marché de l'emploi

Porté par le ministère du Travail, du plein Emploi et de l’Insertion et co-construit avec les organisations syndicales et patronales, le dispositif « Transitions Collectives » a été lancé en janvier 2021 (https://transco.travail-emploi.gouv.fr/). Rapidement jugé trop complexe pour favoriser son déploiement, le dispositif a été complété (notamment par un volet mobilité professionnelle) et modifié par une instruction du 7 février 2022 (instr. DGEFP/2022/35 du 7 février 2022 abrogeant instr. DGEFP/SDPFC/MDFF 2021-13 du 11 janvier 2021, modifiée par instr. DGEFP/MFNE/2022/72 du 18 mars 2022).

Ce dispositif est adapté aux entreprises qui :

  • pour certaines, souhaitent anticiper les mutations de leur marché du travail et opérer une restructuration à court terme ;
  • pour d'autres, ne parviennent pas à couvrir leurs besoins de main-d'œuvre.

Pour assurer à leurs salariés une transition professionnelle sans rupture, c'est-à-dire sans période de chômage, les entreprises peuvent s'engager dans une démarche responsable, gagnant/gagnant, avec le dispositif de Transitions Collectives dit « Transco ».

Il permet aux salariés volontaires, dont l'emploi est menacé, de changer de métier en se positionnant sur un métier porteur dans un même bassin d'emploi.

Transco permet au salarié de profiter d'une reconversion sereine et préparée en conservant son contrat de travail et sa rémunération pendant la durée de sa formation. L'État prend en charge tout ou partie de la rémunération des salariés (y compris les charges sociales légales et conventionnelles) et du coût pédagogique des formations certifiantes.

Le dispositif Transco est une véritable passerelle permettant d'établir de manière anticipée le lien entre les entreprises dont certaines activités sont fragilisées, les salariés dont les emplois sont menacés et les entreprises qui recrutent sans nécessairement trouver de solutions adaptées en termes de compétences.

Transco se décline en deux volets :

  • un premier volet « Transitions collectives-Transco » qui repose sur le support juridique du projet de transition professionnelle (PTP). Ce volet offre aux salariés la possibilité de réintégrer, s'ils le souhaitent, leur entreprise initiale à l'issue de la formation ;
  • un deuxième volet « Transco-Congé de mobilité » qui s'appuie sur le congé de mobilité après la conclusion par l'entreprise d'un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) ou de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP).
À noter

Le volet Transitions collectives-Transco, dit Transco, sera ici privilégié.

Pour les entreprises de toute taille et de tout secteur d'activité qui ont un besoin de restructuration, Transco a pour double objectif de :

  • protéger les salariés dont l'emploi est fragilisé, d’un risque de chômage, en les formant à un nouveau métier avec maintien de leur rémunération (maintien intégral si ≤ 2 SMIC et maintien limité à 90 % ou 60 % si > 2 SMIC avec un plancher de 2 SMIC), pendant toute la durée de la formation (24 mois maximum) ;
  • aider les entreprises en pénurie de main-d'œuvre à recruter sur des métiers émergents ou en tension au sein de leur propre territoire.

Pour les salariés dont l'emploi est menacé, en raison, par exemple, d'une transition écologique ou numérique, Transco peut être la solution pour une reconversion professionnelle consensuelle et désirée.

Ce dispositif favorise ainsi les reconversions et la mobilité professionnelle, intersectorielle en particulier, à l'échelle du territoire.

Les priorités de Transco sont :

  • faciliter les reconversions des salariés afin de prévenir le risque de déclassement ou l'entrée dans un chômage de longue durée ;
  • amplifier l'effort de formation des salariés occupés sur un emploi fragilisé pour répondre aux besoins des entreprises en recherche de compétences.

Transco permet enfin de maintenir un certain équilibre au sein d'un même bassin d'emploi.

Transco : un dispositif vertueux, gagnant-gagnant

Des avantages pour les entreprises et les salariés

Transco offre de réelles perspectives d'emploi aux salariés en reconversion grâce à la formation sur des métiers exclusivement porteurs et des stages en immersion pour conforter le choix des salariés entrant dans le dispositif.

Transco, un dispositif gagnant-gagnant

Pour qui ? Pour quoi ?

Pour l’entreprise

Pour le salarié (hors CPF)

Anticiper l’avenir : mutations sectorielles, baisse d’activité durable

Bénéficier d'une reconversion sécurisée 100 % financée

Accompagner les salariés volontaires dans leur reconversion

Être acteur de son parcours professionnel et être accompagné dans sa reconversion

Recruter sur des métiers porteurs, émergents ou en tension

Développer ses compétences et son employabilité dans un nouveau domaine

À noter

L’un des objectifs du parcours Transco est de répondre à des besoins de reconversion extérieure à l'entreprise et non aux besoins de développement des compétences internes des entreprises ; ces derniers sont davantage traités par le plan de compétences, le dispositif « Pro-A » ou le « FNE-formation ».

Plusieurs acteurs pour accompagner et assister les parties

Les entreprises et les salariés souhaitant recourir au dispositif Transco peuvent bénéficier d’un accompagnement adapté via le conseil en évolution professionnelle (CEP), l’association « Transitions Professionnelles » (ATPro) et les plateformes de transitions professionnelles déployées sur l’ensemble du territoire national (https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/formation-des-salaries/transitions_collectives/article/le-lancement-de-plateformes-territoriales-de-transitions-professionnelles).

Les parties prenantes au dispositif Transco sont aussi assistées par les délégués à l’accompagnement des reconversions professionnelles (DARP), agents des services de l’État qui, dans chaque département, sont à la disposition des dirigeants d’entreprise pour échanger sur les mutations économiques auxquelles ils sont confrontés et des solutions de mobilité professionnelle existantes.

Le rôle des DARP : les précisions de la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) du Puy-de-Dôme

Depuis janvier 2022, un réseau de DARP est à la disposition des entreprises au niveau départemental et régional. Le DARP constitue un interlocuteur privilégié sur le terrain pour accompagner les transitions professionnelles en :

  • permettant à l’entreprise de se saisir des dispositifs mis à disposition par l’État pour accompagner et faciliter la formation et la reconversion des salariés (Transitions collectives, FNE-Formation, Pro-A, PCRH, etc.) ;
  • aidant l’entreprise à identifier les solutions possibles et à mobiliser les outils et les acteurs adéquats sur le territoire : Pôle Emploi, conseil régional, opérateurs de compétences (OPCO), ATPro, branches professionnelles et partenaires sociaux.

Le DARP est à cet égard le référent du dispositif Transitions collectives « Transco ».

Coordonnées des DARP de chaque département accessibles ici : https://transco.travail-emploi.gouv.fr/interlocuteurs-pour-les-entreprises

Une mise en œuvre apaisée du projet de restructuration et de reconversion

Transco va bien au-delà de la sécurisation de la rémunération des salariés entrant dans le dispositif en leur permettant d'accéder – via une formation certifiante – aux métiers porteurs de leur choix, et ce, dans le même bassin d'emploi.

L’échelle du territoire de vie du salarié étant privilégiée, Transco supprime les inconvénients liés à toute mobilité hors bassin de vie (risques psychosociaux, frais divers, déstabilisation de la cellule familiale…).

Étant porteur de solutions pour un avenir proche, sans changer de bassin de vie, Transco limite les risques psychosociaux générés par toute restructuration et projet de reconversion.

En impliquant les représentants du personnel dès la mise en œuvre du projet de transition professionnelle (PTP), les restructurations se déroulent plus facilement, dans le cadre d'un dialogue social apaisé, les suppressions de postes et autres solutions de reclassement hors du territoire de vie des salariés étant évitées.

Un important soutien financier de l’État

Pour atteindre les objectifs assignés au dispositif Transco, l'État et l’ATPro mobilisent des crédits significatifs par la prise en charge de la rémunération, des charges sociales et des frais de formation et frais annexes (voir tableau ci-dessous).

Financement d’un parcours Transco (1)

Financement État (FNE)

Reste à charge entreprise (2)

Entreprises de moins de 300 salariés

100 %

Aucun reste à charge

Entreprises de 300 à 1 000 salariés

75 %

ou 90 % (3)

25 %

ou 10 % (3)

Entreprises de plus de 1 000 salariés

40 %

ou 70 % (3)

60 %

ou 30 % (3)

(1) Ces conditions s’appliquent à toutes les formations couvertes par Transco.

(2) Plusieurs cofinancements sont envisageables : cofinancement par l’OPCO et/ou cofinancement par l’entreprise d’accueil qui envisage d'embaucher le salarié à l'issue de sa formation.

(3) Si formation de plus de 12 mois (ou 1200 heures).

Le salarié sécurisé à l’issue de sa formation

Le salarié entrant dans le dispositif Transco reste salarié de l'entreprise initiale pendant la totalité de la formation.

Ainsi au terme du parcours de formation, le salarié dispose de deux options :

  • réintégrer son poste de travail initial (ou un poste équivalent) ;
  • ou s'orienter vers le métier ou secteur professionnel lié à sa reconversion, en quittant l'entreprise initiale selon les modalités de rupture du contrat de travail existantes (démission, rupture conventionnelle individuelle…) et en s'appuyant sur les offres Pôle Emploi, les plateformes territoriales d'appui aux transitions propositionnelles, les acteurs mobilisés au sein des territoires pour identifier les postes disponibles…

Le salarié entrant dans le dispositif Transco ne prend ainsi aucun risque, il acquiert des compétences nouvelles sans épisode de chômage.

Les règles de droit commun (période d’essai, statut conventionnel…) s’appliquent au salarié qui conclut un nouveau contrat de travail dans l’entreprise d’accueil. Il est toutefois possible, voire souhaitable, d’aménager ces règles en prévoyant par exemple le transfert conventionnel du contrat de travail entre l’entreprise initiale et l’entreprise d’accueil (sous réserve toutefois que celle-ci soit identifiée à temps), un maintien de la rémunération antérieure…

Les modalités de recours au dispositif Transco

La mise en œuvre du dispositif Transco s'organise autour de trois étapes : identifier, informer, déposer (le dossier).

L'identification des emplois fragilisés et des métiers porteurs

Pour les emplois fragilisés

L’un des objectifs de Transco étant d’engager le dialogue social au sein d’une entreprise confrontée ou pressentant des mutations économiques, la liste des emplois identifiés comme « fragiles » est dressée dans un accord présenté, validé ou conclu selon des modalités différentes selon l'effectif de l'entreprise, l'existence d’interlocuteurs syndicaux, la présence d’un comité social et économique (CSE)…

Pour les entreprises de 300 salariés et plus, la liste des emplois menacés doit figurer dans un accord (ou un avenant) de type GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) prévoyant la possibilité, pour les salariés occupant des emplois identifiés comme « fragilisés » au sein de l'entreprise, de bénéficier du dispositif Transco.

Pour les entreprises de moins de 300 salariés, l'entreprise disposera de différentes options :

  • en priorité, la négociation d’un accord d’entreprise avec les organisations syndicales représentatives, des représentants des salariés (élus, mandatés ou non), des salariés mandatés… ;
  • ou une décision unilatérale de l’employeur prise après information-consultation du CSE lorsqu'il existe.

L’accord ou la décision unilatérale doit prévoir la possibilité pour les salariés occupant des emplois fragilisés au sein de l'entreprise de bénéficier du dispositif.

Les OPCO peuvent accompagner les entreprises qui le souhaitent dans cette première étape.

À noter

Les entreprises de moins de 250 salariés peuvent bénéficier de la prestation de conseil en ressources humaines (PCRH) pour se faire accompagner dans la réflexion et la formalisation de l’accord identifiant les postes fragilisés.

Pour les métiers porteurs

Des listes des métiers porteurs ont été établies dès la fin de l’année 2020 ; elles sont déclinées à l’échelle des bassins d’emploi, le cas échéant à l’échelle des territoires.

Ces listes sont en permanence actualisées par les services de l'État en région et communiquées aux associations « Transitions Professionnelles » (ATPro), aux OPCO et aux conseils en évolution professionnelle (CEP).

Elles sont publiées sur les sites des DREETS et/ou des Préfectures de région.

L'information des salariés éligibles aux parcours de formation

Une réunion d'information à destination des salariés dont l’emploi est jugé fragile ou menacé est ensuite organisée par l’un des opérateurs des CEP, visés à l’article L. 6111-6 du code du travail.

L’ATPro peut également être mobilisée à ce stade.

La réunion d'information a pour objet de pouvoir identifier de manière précise les débouchés possibles à l'issue du parcours de formation dans le cadre du dispositif Transco ; celui-ci suppose en effet une démarche volontaire (et l'accord de l'employeur).

Le CEP peut ensuite accompagner les salariés dans l'analyse de leur situation, dans la formulation de leurs attentes et l'élaboration, puis la mise en œuvre, du parcours de reconversion.

L’ATPro informe ensuite régulièrement l'entreprise de l'avancée des parcours de transition collective pour les salariés concernés.

Dépôt du dossier Transco

L'entreprise (aidée ou non de l’OPCO) dont les salariés entrent dans le dispositif Transco, constitue le dossier de demande de prise en charge.

Au terme des deux premières étapes, le dossier peut ainsi être déposé auprès de l’ATPro compétent.

Pour simplifier la démarche, les pièces à fournir sont précisément listées par l'instruction du 7 février 2022.

Le dossier est ensuite instruit et validé par l’ATPro qui en informe la DREETS compétente et les OPCO.

La pertinence du projet de transition professionnelle est appréciée dans les conditions fixées à l'article R. 6323-14 du code du travail et l'instruction du 7 février 2022, sur la base des principaux critères suivants :

  • cohérence du projet de transition professionnelle destiné à changer de métier ou de profession ;
  • pertinence du parcours de formation et des modalités de financement envisagées ;
  • réalisme des perspectives d'emploi dans la région, à l'issue de la formation, au vu de la liste des métiers porteurs.

En cas de validation du dossier Transco, le CEP assure le suivi du salarié pendant toute la période de son projet de transition professionnelle, notamment en apportant un appui à la prévention des ruptures de reconversion ainsi qu’à la préparation de sa recherche d'emploi.

À l’issue de la formation, le salarié réintègre son poste de travail ou un poste équivalent dans son entreprise.

Il peut alors choisir de rester dans celle-ci ou s'orienter vers le métier ou secteur professionnel lié à sa reconversion, l'objectif de Transco étant naturellement, qu’à l’issue de la formation, le salarié ait trouvé un emploi correspondant à son parcours de reconversion et ainsi d'atteindre les objectifs du dispositif.

Tout l'intérêt de Transco en résumé

Transco offre la garantie d’une reconversion professionnelle sécurisée.

Pour les employeurs confrontés à des mutations économiques dans leur secteur d’activité, Transco permet d’accompagner leurs salariés dans une reconversion sereine, préparée et assumée vers un métier porteur dans leur bassin de vie.

Pour les salariés en reconversion, le dispositif offre de réelles perspectives d'emploi au terme du projet de transition professionnelle, dans des métiers d’avenir.

Pour les entreprises en tension, Transco constitue une opportunité de recruter plus facilement des salariés motivés, qualifiés, présents sur le même bassin d'emploi.

Les positions et opinions émises dans cette rubrique n'engagent que leur auteur.