13 septembre 2023 à 13h30

Contester la durée des arrêts de travail AT/MP : une mission pas complètement impossible, par Me Fabien Duffit-Dalloz

Contester la durée des arrêts de travail AT/MP : une mission pas complètement impossible, par Me Fabien Duffit-Dalloz
Fabien Duffit
Fabien Duffit-Dalloz
Avocat en droit social au barreau de Lyon

Lorsqu’il a un doute légitime sur le bien-fondé de la longueur d’un arrêt de travail de l’un de ses salariés, à la suite d’un accident du travail (AT) ou d’une maladie professionnelle (MP), l’employeur peut contester l’imputabilité des soins et arrêts de travail à l’accident ou la maladie devant la commission médicale de recours amiable (CMRA) de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Un examen attentif de la jurisprudence de la Cour de cassation et de divers arrêts de cours d’appel montre néanmoins qu’il s’agit d’un parcours parsemé d’embûches, qu’il convient de préparer scrupuleusement tant la position de la Haute juridiction et des juges du fond est intransigeante en la matière. Explications par Fabien Duffit-Dalloz, Avocat en droit social au barreau de Lyon.

Un enjeu crucial pour les employeurs

Une hausse constante de la durée des arrêts de travail imputés à un AT ou une MP. - La durée moyenne des arrêts de travail rattachés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle n’a cessé d’augmenter ces dernières années.

En 2017, la durée moyenne d’un arrêt de travail à la suite d’un accident du travail était de 65 jours et de 230 jours pour une maladie professionnelle.

En 2021, ces chiffres ont connu une augmentation de 23 % pour les accidents du travail (80 jours en moyenne) et même de 30 % pour les maladies professionnelles (298 jours en moyenne).

Un impact sur le taux de cotisations AT/MP. – La valeur du risque, servant de base au calcul du taux de cotisations AT/MP pour les entreprises ayant au moins 20 salariés, est impactée par la longueur des arrêts de travail imputés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (c. séc. soc. art. D. 242-6-6).

Ainsi, plus long sera l’arrêt, plus les conséquences financières seront grandes sur le taux AT/MP.

Exemple : dans les entreprises du secteur de la métallurgie, un accident donnant lieu à la prescription d’un arrêt de plus de 150 jours a pour conséquence l’inscription d’une somme de 38 614 € sur le compte employeur de l’établissement concerné selon l’arrêté du 26 décembre 2022 (JO du 28).

Le principe strict de présomption d’imputabilité posé par la Cour de cassation en 2011

Présomption d’imputabilité au travail jusqu’à la consolidation. – Selon le Code de la sécurité sociale, toute lésion survenue au temps et au lieu du travail bénéficie d’une présomption d’imputabilité au travail (c. séc. soc. art. L. 411-1).

Depuis 2011, la Cour de cassation a étendu cette présomption d’imputabilité aux soins et arrêts de travail prescrits à la victime jusqu’à la date de consolidation de son état de santé ou de sa guérison (cass. civ., 2e ch., 17 février 2011, nº 10-14981 PB).

Une charge de la preuve incombant exclusivement à l’employeur. – Avec cet arrêt du 17 février 2011, c’est à l’employeur que revient de prouver l’absence d’imputabilité des arrêts à l’accident ou maladie initial.

Consciente que cette tâche était fort peu aisée, la Cour de cassation avait procédé à un revirement de jurisprudence en 2018 en imposant à la CPAM de démontrer une continuité de symptômes et de soins pour qu’elle puisse se prévaloir de la présomption d’imputabilité. Concrètement, cette position imposait à la CPAM de verser aux débats les certificats médicaux mentionnant la lésion ou la pathologie justifiant l’arrêt (cass. civ., 2e ch., 15 février 2018, nº 17-11231 FD).

Une position sans cesse réaffirmée depuis 2020. – Après une brève éclaircie, la Cour de cassation est néanmoins revenue, dès juillet 2020, à une position intransigeante.

Elle a en effet énoncé que, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime. Dès lors, il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire (cass. civ., 2e ch., 9 juillet 2020, nº 19-17626 FBPI).

La discontinuité des soins et arrêts de travail n’est pas un motif d’inopposabilité. – Poursuivant sa construction prétorienne très stricte à l’égard des employeurs, la Cour de cassation a affirmé, dans une série d’arrêts rendus aux mois de mai et juin 2022, que l’absence de continuité des arrêts et des soins n’était pas de nature à renverser la présomption de leur imputabilité à l’accident du travail ou la maladie professionnelle (cass. civ., 2e ch., 12 mai 2022, nº 20-20655 FB ; cass. civ., 2e ch., 2 juin 2022, nº 20-20734 FD, nº 20-19776 FD et nº 20-20735 FD).

À cet égard, la Haute juridiction a précisé que l’absence de production, par la CPAM, de certificats médicaux couvrant l’ensemble de la période allant de l’accident à la date de consolidation de l’état de santé, n’était pas de nature à écarter la présomption d’imputabilité des arrêts et soins prodigués à l’accident de travail (cass. civ., 2e ch., 2 juin 2022, nº 20-19776 FD).

Cette position a encore récemment été confirmée par une série d’arrêts (cass. civ., 2e ch., 22 juin 2023, n° 21-25812 FD, n° 22-13051 FD et n° 21-24598 FD).

Les moyens dont dispose l’employeur pour combattre la présomption d’imputabilité

Une marge de manœuvre réduite. – À la lecture des différents arrêts rendus par la Cour de cassation au cours des 3 dernières années, il paraît désormais clair que l’employeur ne sera en mesure de renverser la présomption d’imputabilité qu’en prouvant :

  • soit que la lésion a une cause totalement étrangère au travail ;
  • soit l’existence d’un état pathologique préexistant du salarié.

En outre, un arrêt récent de la cour d’appel de Colmar est venu nous rappeler que la présomption d’imputabilité ne joue également pas dès lors qu’aucun arrêt de travail initial n’a été prescrit. Dans un tel cas de figure, il appartient à la CPAM de rapporter la preuve d'une continuité de soins et de symptômes, ce qu’elle ne faisait pas pour la période postérieure au 28 février 2019 dans l’affaire en cause. En conséquence, la cour a jugé inopposable à l'employeur l'ensemble des arrêts et soins prescrits au salarié au-delà de cette date (CA Colmar, Chambre 4 sb, 29 juin 2023, n° 20/02911).

Une aide parfois apportée par les recours CMRA. – Créée par le décret 2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, la commission médicale de recours amiable (CMRA) examine, depuis le 1er janvier 2019, avant tout recours contentieux, les contestations de nature médicale. Cela inclut les litiges relatifs à la durée des arrêts de travail imputés à un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Or, devant cette Commission, le service médical de la CPAM doit communiquer au médecin-conseil de l’employeur l’intégralité du rapport médical de l’assuré (c. séc. soc. art. L. 142-6), ce qui permet parfois d’obtenir de précieuses informations, notamment quant à l’existence d’un état pathologique préexistant.

Le taux de décisions implicites de rejet des recours étant néanmoins très élevé devant les CMRA, cela réduit considérablement l’espoir qu’avait un temps pu susciter l’instauration d’un tel recours.

Le médecin-conseil, un allié important. – Le médecin-conseil de l’employeur sera, secret médical oblige, le seul qui pourra prendre connaissance du dossier médical de l’assuré, à condition toutefois que le service médical de la Caisse respecte l’obligation de communication qui lui incombe.

L’examen de près d’une centaine d’arrêts de cours d’appel sur la période de janvier à juillet 2023 démontre que le rapport du médecin-conseil de l’employeur peut se révéler déterminant.

Tel a été le cas dans un litige porté devant la cour d’appel d’Angers, laquelle a fait droit à la demande d’expertise judiciaire de l’employeur après avoir pris connaissance des conclusions du médecin-conseil qui soulignait la mention, sur un des certificats de prolongation, d’une pathologie dorsale, différente de la lésion initiale, « caractéristique d’une pathologie discale de nature dégénérative ou de caractère ancien  » (CA Angers, Chambre sécurité sociale, 6 juillet 2023, n° 21/00701).

Dans une affaire similaire, les magistrats de la cour d’appel d’Amiens ont également été sensibles aux conclusions du médecin-conseil de l’employeur. En l’espèce, ce dernier avait pu prendre connaissance du dossier médical de l’assuré et avait ainsi pu constater qu’un certificat de prolongation mentionnait l’existence d’une « dysplasie scapulo-humérale gauche », ce qui établissait l’existence d’un état pathologique antérieur à la « luxation épaule gauche spontanément résolutive » constatée aux termes du certificat médical initial. Sur la base des rapports du médecin-conseil de l’employeur et de celui de la CPAM, la cour d’appel a finalement abaissé d'1 an à 4 mois la durée des arrêts imputables à l’accident du travail (CA Amiens, 2e protection sociale, 16 mai 2023, n° 22/00005).

Un recours CMRA préparé soigneusement, la clé de la réussite. – La pratique judiciaire nous apprend depuis trois années qu’un recours médical bien préparé en lien avec un médecin-conseil rompu à l’exercice, s’il n’est pas synonyme de succès garanti, est indispensable pour espérer une issue favorable.

À cet égard, le médecin ne pourra assurément pas se contenter de considérations générales sur le caractère anormalement long de l’arrêt ou encore l’incohérence entre la nature de l’accident et la lésion occasionnée. Il lui appartiendra, en effet, d’être en mesure d’apporter a minima un commencement de preuve de l’existence d’un état antérieur préexistant évoluant pour son propre compte et/ou d’une cause des soins et arrêts totalement étrangère.