
L’audience de la chambre sociale de la Cour de cassation, en formation plénière, sur la conventionnalité du barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse (dit « barème Macron ») se tiendra le 31 mars 2022, à partir de 9 h 30. Nous saurons, à l’issue de l’audience, la date à laquelle elle se prononcera. Dans l’attente, la Cour de cassation est revenu sur les enjeux juridiques de cette audience dans un communiqué du 25 mars.
Rappels sur le barème Macron
Pour tout licenciement prononcé depuis le 24 septembre 2017, le juge prud'homal qui estime qu'un licenciement est sans cause réelle et sérieuse doit, lorsque le salarié n’est pas réintégré dans l’entreprise, respecter un barème légal d'indemnisation (dit « Barème Macron »).
Ce barème, instauré par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, fixe des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté du salarié et, pour certains montants planchers, de l’effectif de l’entreprise (c. trav. art. L. 1235-3).
Le Conseil constitutionnel a déclaré ce barème conforme à la Constitution (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).
À noter : ce barème s'applique également aux résiliations judiciaires prononcées à compter du 24 septembre 2017 et produisant les effets d‘un licenciement abusif (cass. soc. 16 février 2022, n° 20-16184 FSB ; voir notre actu du 22/02/022, « Le barème Macron s'applique aux résiliations judiciaires prononcées à compter du 24 septembre 2017 »).
Le contexte : la « fronde » de certaines juridictions du fond
Plusieurs conseils de prud'hommes (CPH) ont refusé d'appliquer ce barème légal d'indemnisation, le considérant contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à l’article 24 de la charte sociale européenne qui fixent le principe d’une réparation adéquate (ex. : CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG n° 18/00036 ; CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG n° 18/00040 ; CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG n° 18/01238).
Saisie pour avis, la Cour de cassation a estimé, d’une part, que ce barème était compatible avec les stipulations de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT et, d’autre part, que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée étaient dépourvues d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers (cass. avis, 17 juillet 2019, avis n° 19-70010 PBRI et n° 19-70011 PBRI ; voir notre actu du 17/07/2019, « Barème Macron : la Cour de cassation donne un avis, et il est positif ! »).
Mais cet avis, qui n'a qu'une portée indicative, ne s'impose pas aux juges du fond. Certains CPH ne l'ont pas suivi et ont écarté l’application du barème (ex. : CPH de Grenoble, 22 juillet 2019, n° RG 18/00267 ; CPH Troyes, 29 juillet 2019, n° RG 18/00169 ; CPH Limoges, 1er octobre 2019, n° RG 19/00114).
Du côté des cours d'appel (CA), l'application du barème est diverse.
Dans certains cas, les juges d'appel ont respecté le barème, tout en admettant que chaque situation devait être appréciée « in concreto », pouvant ainsi conduire à écarter le barème (CA Paris, 30 octobre 2019, RG n° 16/05602 ; CA Reims, 25 septembre 2019, RG n° 19/00003, voir notre actu du 25/09/019, « La cour d’appel de Reims « valide » et applique le barème Macron, mais admet qu’il puisse être écarté » ; CA Grenoble, 2 juin 2020, n° 17/04929).
Dans d'autres cas, les juges d'appel n'ont pas appliqué le barème considérant qu'il ne permettait pas une réparation appropriée du préjudice subi par le salarié, compte tenu de sa situation (ex. : ancienneté, âge, difficulté à retrouver un emploi, difficultés financières importantes après le licenciement, dégradation de l’état de santé liée au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité) (CA Paris, 16 mars 2021, n° RG 19/08721, voir notre actu du 21/04/021, « Face à la situation concrète de la salariée, la cour d’appel de Paris écarte le barème Macron » ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, n° RG 20/02512, voir notre actu du 7/102021, « Barème Macron : la cour d’appel de Grenoble résiste à son tour »).
Une décision au fond de la Cour de cassation sur la conformité du barème Macron aux textes internationaux (« conventionnalité ») était donc attendue pour clore cette contestation.
À noter : pour sa part, l'administration considère que le barème est obligatoire et que le juge ne peut s'en affranchir (Document questions-réponses du ministère du Travail, « La rupture du contrat de travail », Q/R n° 22, juillet 2020).
Un communiqué pour éclairer les questions à trancher par la Cour de cassation
Dans son communiqué du 25 mars 2022, la Cour de cassation précise les questions posées dans les quatre affaires faisant l’objet d’un pourvoi auxquelles elle devra répondre à l’issue de l’audience du 31 mars 2022 et dévoile une partie des arguments avancés par les parties.
La date à laquelle elle se prononcera sera communiquée à l’issue de l’audience.
Sur la conformité du barème à la convention 158 de l’OIT
Dans une première affaire, la cour d’appel a écarté l’application du barème Macron, considérant qu’elle ne permettait pas une indemnisation adéquate du salarié concerné, dans la mesure où la somme maximale prévue par le barème couvrait à peine la moitié du préjudice tenant à la diminution des ressources financières depuis le licenciement.
L’employeur s’est pourvu en cassation. Il considère en effet que le « contrôle de conventionnalité in concreto » ne s’applique que dans le champ de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et qu’il ne peut être exercé qu’au regard d’un droit fondamental, ce qui n’est pas le cas du droit à réparation adéquate pour licenciement injustifié. Par ailleurs, ce contrôle de conventionnalité in concreto exercé au cas par cas est, selon lui, contraire à l’égalité des citoyens devant la loi et source d’insécurité juridique.
La Cour de cassation devra ainsi se prononcer sur les deux questions suivantes :
- le juge national français peut-il se livrer à un contrôle de conventionnalité in concreto au regard de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ?
- si un contrôle in concreto est possible au regard de cette convention de l’OIT, que recouvre le principe de réparation adéquate prévu par son article 10 et quels seraient les critères permettant de l’encadrer ?
À noter : la Cour de cassation rappelle dans son communiqué que le contrôle de conventionnalité in concreto permet au juge national d'écarter une norme de droit français si son application porte une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti par une convention internationale signée par la France. La Cour de cassation devrait donc décider ce qu'il en est pour le barème Macron au regard de la convention 158 de l'OIT.
Sur l’effet direct de la charte sociale européenne
Dans les trois autres affaires, la cour d’appel a suivi l’avis de la Cour de cassation en jugeant que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’était pas d’effet direct dans un litige entre particuliers. Il ne pouvait donc pas être directement invoqué par le salarié devant une juridiction française.
Le salarié s’est alors pourvu en cassation. Il estime en effet que l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte sociale européenne sont rédigés d’une manière assez similaire. Ainsi, dans la mesure où la Cour de cassation reconnaît un effet direct à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, il devrait en être de même pour l’article 24 de la Charte sociale européenne.
La Cour de cassation devra ainsi se prononcer sur la question suivante : comment déterminer si un article d’une convention internationale est ou non d’effet direct entre particuliers ? Sur la seule base du texte de la convention, ou en réalisant une analyse globale tenant compte de la volonté de ses rédacteurs de la voir produire un effet direct entre particuliers ?
À noter : la Cour de cassation rappelle à cet égard dans son communiqué qu’une convention internationale ratifiée et publiée au Journal officiel qui ne nécessite pas que la France prenne des mesures pour la rendre applicable peut être directement invoquée par les particuliers devant le juge national.